Comter fleurette (Charlotte Isley)

Avec sa main droite, elle lui flatta un peu possessivement le bas du dos, au travers du tissus de sa robe argentée. Sans s'en émouvoir, Xuanyun laissa son regard d'un noir magnétique happer les yeux ambrés de sa cliente, sa propre main occupée à lui caresser la joue. Son bracelet composé d'une myriade de fausses gemmes étincela, à la lumière des projecteurs qui illuminaient la pièce. La jambe que sa robe fendue découvrait se logea entre celles de sa consommatrice blonde, telle un prélude à ce qui allait suivre. La Comtesse décocha un regard rassurant à la jeune étudiante, déposa lentement le timbre d'ecstasy sur sa langue, puis l'embrassa pour partager avec elle la dose de drogue. Un frisson de satisfaction électrisa la peau de l'asiatique, lorsqu'elle sentit les jambes de sa partenaire ramollirent, comme si elle fondait. Coutumière de ce type de réaction, Xuanyun accompagna la descente de la blonde vers un siège proche, où elle déposa la jeune femme, qui rêvassait déjà, un sourire d'extase dessiné sur ses lèvres.

« Bon voyage au pays des merveilles, Alice. » Lui souhaita la trafiquante, quand bien même la musique qui battait un rythme électrique noyait sa voix sous un flot de sonorités artificielles. De toute façon, dans son état d'émerveillement acidulé, l'étudiante ne l'entendait certainement plus.

Riche de quelques billets supplémentaires glissés discrètement dans son portefeuille, la Comtesse vérifia machinalement que sa mise était encore intacte, et qu'aucun de ses long cheveux couleur d'encre ne dépassait de son chignon sophistiqué. Par réflexe, elle retournait sourire sur sourire aux invités qui la dévisageaient tout en se trémoussant en cadence, ou de manière désordonnée. Décor et ambiance normale, pour une soirée chez mademoiselle Na-Wei. Son duplex accueillait régulièrement une bonne vingtaine de jeunes gens riches, qui venaient profiter de son intérieur richement décoré, de son jacuzzi avec vue sur la portion Starling d'Unicity, du DJ en vogue qu'elle engageait pour la nuit, et surtout, de ses doses qu'elle vendait à prix d'ami, quand elle ne les distribuait pas gratuitement, pour "faire essayer".

L'éclairage coloré jouait sur la surface à demi réfléchissante de sa longue robe fendue, la parant successivement de vert, rouge, puis bleu. Xuanyun se déhancha joyeusement, les bras libres de se mouvoir selon leur bon vouloir, et l'espace de quelques instants, tout son corps n'obéit qu'à un remix survitaminé de Take on the World des Wavves. Prise d'une envie de boire, la jeune étudiante chinoise mena ses talons noirs vers son minibar, dépassant ce faisant le canapé de son salon où trois invités dodelinaient mollement du crâne, probablement sous l'emprise de son Vertigo. La drogue, assez addictive, procurait pour certains une sensation de désorientation plaisante, et relaxante. S'ils avaient su quelle était la fonction première de la toxine, peut-être l'auraient-ils moins consommée...

Le minibar occupait un coin plus à l'écart du salon, loin du DJ et des danseurs. La soirée étant bien entamée, les buveurs invétérés s'en étaient déjà éloigné, pour cuver leurs verres ou s'effondrer quelque-part. Distraitement, la propriétaire des lieux courba gracieusement sa silhouette pour récupérer une vodka très bien entamée, et mélangea une rasade de jus de litchi avec le liquide translucide. C'est en refermant la porte verre à la main que la Comtesse nota la présence d'une jeune femme, juste à côté d'elle.

« Je te sers quelque-chose ? » S'enquit l'hôtesse, en dissimulant derrière un sourire son incapacité à remettre un nom sur ce visage.

Dans la pénombre multicolore du duplex, un infime tressaillement fit frémir les paupières de l'asiatique. Se tenait donc devant elle une jolie rousse qui participait à la soirée sans connaître l'hôtesse. Voilà qui expliquait pourquoi Xuanyun ne la reconnaissait pas... Et qui posait la question du comment. Fidèle à son tempérament flamboyant, cependant, la maîtresse des lieux commença par exécuter une brève révérence, accompagnant au geste la parole.

« La seule et l'unique ! Mais appelles-moi Xuanyun. Ou "Shu". Je crois savoir que les américains ont du mal, avec la prononciation chinoise. » Glissa cette dernière, tout en déposant son portefeuille sur une table basse. « Alors ? Quel sera ton poison ? Gin Tonic ? Margarita ? Vodka orange ? » Demanda-t-elle par-dessus la musique, sans lâcher son interlocutrice des yeux.

Le khôl qui soulignait le regard de la Comtesse accentuait encore le sentiment qu'elle observait une proie. En vérité, Xuanyun étudiait les possibilités expliquant la présence de la demoiselle en robe verte dans son domaine. Rares, très rares même, étaient ceux qui réussissaient à se faire inviter sans prendre la peine de connaître la trafiquante ; la meilleure explication qui vint à l'asiatique fut qu'elle avait affaire à une amie de client, en quête de sensation forte. Résistant à la tentation de se mordiller la lèvre (ce que Xuanyun faisait souvent - sauf lorsqu'elle portait un maquillage qui s'en allait facilement, et Fascination en faisait partie), elle servit le verre de sa nouvelle rencontre, avant de trinquer gentiment avec elle.

« Ganbei ! » S'exclama la jeune criminelle, avant d'avaler cul-sec son cocktail, et de reposer le verre vide près de son portefeuille. « Alors... » Reprit la Comtesse, sur un ton de businesswoman que l'alcool n'avait fait que réveiller. « … C'est par Harri, que tu t'es faite inviter ? Toi aussi, tu es dans le mannequinat ? »

Petite question piège. Xuanyun fréquentait assez de jeunes adultes habitués à défiler pour savoir reconnaître ceux qui ne travaillaient pas dans le monde de la mode. La tête légèrement embrouillée par un démarrage de soirée sur les chapeaux de roues, elle n'était toutefois pas d'humeur réellement méfiante, puisque la question qui suivit était, elle, totalement innocente.

« J'en oublierais presque la politesse ! Je ne t'ai même pas demandée comment tu t'appelais... » Fit-elle, sur un ton indiquant qu'elle s'en voulait. Tout en lui glissant un regard en coin, la jeune étudiante en droit posa amicalement une main au vernis rouge comme ses lèvres sur l'épaule de son interlocutrice. « Si tu ne te sens pas assez à l'aise pour me donner ton vrai nom, un alias suffira... Je ne suis pas du genre fouineuse. » Assura Xuanyun en battant plusieurs fois des cils, car elle venait de débiter un très gros mensonge.

L'introduction de Miami Disco pianotait ses notes électriques, meublant d'un fond tonique et légèrement rétro la discussion entre les deux jeunes femmes. Faussement compatissante, la Comtesse écoutait Charlotte lui raconter ses malheurs, non sans intérieurement se réjouir. La rousse, de ce que Xuanyun en percevait, était le profil-type de la coincée qui se démoralisait aisément ; difficile de rêver meilleure future cliente. Il suffirait d'un rien pour que la demoiselle ait le moral à zéro, et quoi de plus tentant alors que de revenir trouver la dealeuse chinoise, pour lui acheter de quoi éloigner ses soucis quelques béates heures ? Elle tomberait accro trop vite pour réaliser dans quel pétrin elle s'était jetée, garantissant à la trafiquante une hausse de ses revenus réguliers.

La main de Xuanyun n'avait pas quitté l'épaule de son interlocutrice. Avec un sourire indulgent, et un regard tout aussi doux, elle se mit dans le rôle de la consolatrice (principalement pour renforcer la dépendance de sa future cliente vis-à-vis d'elle).

« Ma pauvre... Tu as bien fait de venir me voir, ce soir. »

D'un geste qui semblait naturel, elle capta de sa main libre l'une de celles de Charlotte, et la guida gentiment vers un coin du duplex où deux hautes bibliothèques épousaient les angles de l'appartement. Trois sièges blanc d'allure confortables étaient disposés à l'attention des éventuels lecteurs, ainsi qu'une table translucide.

« Mais tu sais, il ne faut pas laisser un crétin te décourager. Les hommes ne sont pas tous de parfaits imbéciles... Seulement leur vaste majorité. » Plaisanta-t-elle, en l'incitant poliment à s'installer dans le fauteuil accolé à la table, là où sa convive pourrait mettre son verre. L'argent de la robe fendue de l'asiatique rehaussait le noir de son propre fauteuil, d'une teinte mate et charbonneuse, alors que ses chaussures, elles, se fondaient sur l'arrière-plan sombre.

Négligemment, Xuanyun croisa ses jambes, et laissa dodeliner l'un de ses talons en l'air, seul signe trahissant l'excitation qui, comme à chaque vente, la gorgeait d'énergie. Ses mains délicates étaient, elles, occupées à déloger l'un des livres de son rayon. Une édition caligraphiée de L'Art de la Guerre, par Sun Tzu.

« Ceci dit, les garçons peuvent très bien attendre demain. Pour ce soir, pour cette nuit, je te propose plutôt d'expérimenter... Le Vertigo. » Souffla la Comtesse d'un timbre velouté et tentateur, en exhibant un petit sachet de pilules vertes plastifié, auparavant dissimulé dans les pages du livre qu'elle reposa à l'envers. Le regard noir, uni et insondable de la criminelle, s'attarda sur les iris cristallines étincelantes, aussi vertes que sa robe, de la rousse. « Avec ça, tu vas faire le grand plongeon, et si c'est vraiment la première fois que tu essaies... Disons que tu ne te soucieras plus de rien pendant de loooongues heures. »

Délicatement, Xuanyun sortit une dose, qu'elle saisit entre son pouce et son index vernis, pour la présenter à sa future cliente. De près, on pouvait discerner la petite spirale creusée sur le comprimé, marque de fabrique de sa productrice.

« Tu avales ça, avec une gorgée si ça te paraît plus simple. L'alcool n'altère pas ses effets, qui sont d'ailleurs très rapides. Tu vas avoir l'impression que tout tourne autour de toi, et que tu tombes. Si tu résistes, ce sera comme être dans une centrifugeuse... Il y en a qui trouvent ça drôle, mais moi, je te recommande plutôt de te laisser aller. Si tu laisses les vertiges te happer, ce sera comme tomber indéfiniment. Ton esprit plongera dans un état de détente proche du sommeil...Un peu comme une transe hypnotique, si tu veux. Sauf que tu seras totalement fermée à l'extérieur, comme isolée dans une bulle, à flotter dans les airs sans penser à rien... » Décrivit la vendeuse de sa voix suave, en anticipant sur les réticences de Charlotte. « Absolument aucun danger, aucun risque... Tu peux me croire, j'ai des tas d'amis qui en prennent régulièrement. Tant que tu t'assoies avant de plonger, tu ne cours pas plus de risques que si tu t'endormais. Et le retour à la réalité se fait en douceur... Comme une plume qui, portée par le vent, atterrit progressivement par terre. » Expliqua-t-elle, souriante.

Dans le salon, plusieurs exemples de consommateurs de Vertigo en pleine chute libre se trouvaient encore affalés sur le canapé, les traits détendus. Xuanyun déposa la pilule dans la paume de la rousse, afin de ne pas lui donner le sentiment de la forcer à quoi que ce soit.

« Si tu veux totalement te défoncer, c'est l'idéal. Et je te promets de rester auprès de toi toute la durée de ta descente. Si quoi que ce soit se passe mal, je réagirais en un rien de temps  » Promit la menteuse aux yeux attrayants.

Un éclat de triomphe illumina le regard de Xuanyun, au moment où Charlotte avalait le comprimé de drogue. Tranquillement, elle regarda le corps de la jeune femme se détendre, sous l'effet du composé chimique, et se permit un sourire de chat. La Comtesse ressentait un plaisir sournois à créer la dépendance ; elle adorait placer les autres dans une situation d'infériorité, où ils lui étaient soumis.

Sans doute stressée d'être dans un environnement inconnu, avec une femme dont elle ne savait rien, la rousse ne sombra pas immédiatement. S'accrochant à la conscience, elle conservait les yeux ouverts (sans doute pour se trouver un ancrage à maintenir en vue, tandis que les vertiges se faisaient plus puissants, brouillant son oreille interne) et voulut savoir combien lui coûterait le vol d'essai. Prédatrice jusqu'au bout des ongles, la chinoise se coula gracieusement hors de son fauteuil, pour venir s'asseoir juste à côté de la timide en pleine découverte du Vertigo.

« Chuuuuut... » Lui susurra doucement l'asiatique, en ramenant en place d'un index léger une mèche des cheveux cuivrés de son interlocutrice. La musique continuait d'inciter les corps à bouger et danser, dans le duplex. Pour faire entendre son filet de voix murmuré, Xuanyun dut quasiment coller ses lèvres à l'oreille de Charlotte.

« Tu ne me dois rien, ma belle ; laisse-toi tranquillement aller, et profite de l'instant présent que je t'offre. Concentre-toi sur cette sensation gratuite de flottement, et de bien-être... Laisse tes yeux se fermer tout seuls... Abandonne-toi au confort du fauteuil, et à ces vertiges qui te font tourbillonner de plus en plus vite... » Chuchota la Comtesse, qui avait déjà guidé plusieurs de ses clients lors de leur première consommation de sa drogue.

Une fois conduits dans un état de détente, leur esprit se noyait dans les sensations produites par le Vertigo sur leur système nerveux, et il n'était plus nécessaire de les aider à se relaxer. Tandis qu'elle apaisait par sa voix calme et posée toutes les inquiétudes de la rousse en robe verte, ses mains agiles occupées à lui masser gentiment les épaules et la nuque pour en chasser les restes de tension, Xuanyun surprit l'arrivée d'un de ses informateurs. La Comtesse recevait régulièrement des visites professionnelles tardives, lors de ses soirées privées : ils y passaient pour des invités retardataires, et pouvaient lui parler sans risquer les oreilles indiscrètes. Aux heures où les informateurs se présentaient à la maitresse des lieux, tous les invités planaient, dormaient, ou étaient occupés ailleurs.

Yannis, constatant que la trafiquante était occupée, lui adressa une œillade interrogatrice. L'idiot craignait apparemment de venir parler affaires en présence d'une inconnue. Xuanyun promena un regard conquérant sur Charlotte, dont elle voyait principalement la partie droite du profil. De son propre aveu, la rousse faisait son baptême ce soir, et elle avait mélangé alcool et Vertigo. Même si elle s'y était opposée de toutes ses forces, elle se serait enfoncée dans la semi-inconscience provoquée par la drogue ; son initiatrice estimait qu'actuellement, la récente célibataire s'enfonçait dans le spiralement interminable de vertiges et d'étourdissements assommant ses pensées. Son cerveau ne percevrait plus la musique, ni d'éventuelles douleurs de crampes dues à une mauvaise position sur le fauteuil ; lui hurler dans les oreilles ne la réveillerait pas ! (ce qui expliquait en partie le danger de consommer du Vertigo seul : des fumeurs étaient morts, asphyxiés car ils ne s'étaient pas réveillés lors d'un début d'incendie chez eux).

Les pierreries en toc au poignet de Xuanyun étincelèrent de nouveau, quand elle indiqua d'un geste à Yannis de s'approcher. Par acquis de conscience, la Comtesse s'assura que Charlotte flottait pour de bon dans une transe chimiquement induite en promenant son regard sur le visage de la rousse. De la main droite, elle lui effleura la joue, pour vérifier que le contact ne la tirait pas de sa stupeur. C'était une belle femme, qui avait la peau douce. Songeuse, la chinoise se demanda si elle ne l'inviterait pas à gagner ses prochaines doses de drogues en échange de nuits passées en sa compagnie. Elle refuserait peut-être, d'abord ; puis le manque ferait son office, et elle s'y résignerait.

Elles s'y résignaient toujours.

Le vert des yeux de Charlotte paraissait rongé par ses pupilles dilatées, même dans la pénombre de la pièce. Le DJ veillait à entretenir l'ambiance lancinante et posée qui se prêtait si bien à la détente, une consigne donnée par son employeur. Xuanyun considéra avec une pointe de surprise que la rousse, contrairement à ce qu'elle prévoyait, n'avait pas encore sombré dans la béatitude. Néanmoins, elle dévorait littéralement du regard son interlocutrice, rit spontanément, et lâcha une courte affirmation digne d'un esprit anesthésié par les endorphines, le tout en souriant aux anges. Elle planait à des kilomètres, et ne gardait certainement que de vagues souvenirs flous de la soirée. Piquée par une soudaine pulsion, la Comtesse déposa un chaste baiser sur la joue droite de sa cliente, prolongeant plus que nécessaire le contact de ses lèvres sur la peau tiède.

« C'est normal, ma chérie : tout le monde aime mon Vertigo. » Ajouta tendrement la chinoise, en promenant une main possessive sur le visage aux traits lisses et apaisés de Charlotte.

Yannis rejoignit les deux femmes en s'asseyant dans le fauteuil restant. Sa peau noire luisait aux variations de couleur qui éclairaient le duplex, alors que l'étoffe en lin de sa chemise demeurait du même pourpre sobre. Circonspect, il considéra cette gênante témoin en robe verte de ses iris froides, avisa l'empreinte de lèvres rubicond que Fascination avait déposée sur la joue de cette dernière, puis s'attarda sur son expression rêveuse. Finalement convaincu, l'informateur se passa la langue sur les lèvres, avant de lâcher un laconique :

« Les Runt sont en position de faiblesse. »

Xuanyun avait toujours apprécié la voix de basse du ghanéen. Yannis ne s'énervait que rarement, et apportait encore plus rarement de mauvaises nouvelles. Tandis qu'elle jouait à entortiller sa main dans celle de Charlotte, l'autre main occupée à faire glisser la pulpe de ses doigts sur l'épiderme de celle-ci, la criminelle répliqua :

« Excellent... À qui devrais-je envoyer des fleurs ? L'archère ? Ou Stark, peut-être ? J'avais pourtant mis en garde Defalco : Unicity, c'est la cour des grands, et son trafic d'esclave attire beaucoup trop l'attention des justiciers de tous bords...  »

Non qu'elle s'en plaigne. Les Runt du mutant sud-américain sévissaient principalement dans le secteur de Starling ; Xuanyun n'aurait pas pu espérer meilleure nouvelle que d'apprendre qu'elle pourrait bientôt cueillir le territoire des trafiquants d'esclaves, quasiment sans coup férir. Jouant avec les mains de se nouvelle consommatrice comme si elle n'était qu'une poupée de chiffon, l'asiatique fit courir sa joue contre la paume de la rousse, fermant transitoirement les paupières pour se focaliser sur la sensation.

« Je ne sais pas qui est responsable. Defalco recrute, beaucoup, mais n'offre pas de payement immédiat. Il veut renflouer ses rangs, mais ses caisses sont vides. Quelque-chose me dit qu'il s'en faudrait d'un rien pour que les Runt disparaissent d'Unicity. »

La vendeuse de drogue darda ses prunelles aux cils interminables sur l'africain, dévoilant soudainement son visage de criminelle affairiste. Rester accroupie à côté de Charlotte commençait à lui tirer sur les talons. Confusément, elle repéra l'un de ses invités qui détalait vers les toilettes, et son DJ qui tentait de remuer les bras en cadence, l'oreille collée à son casque. Après une inspiration silencieuse, la Comtesse prit sa décision.

« Inutile d'attendre que le prévisible se réalise... Il faut revendiquer dès maintenant le territoire de Defalco. Fais passer le mot : dans trois jours, j'organiserai une nuit de vente de Vertigo, dans Starling. Tous ceux qui habitent sur le territoire contrôlé par les Runt bénéficieront d'une réduction de 20%. Le site précis sera communiqué la veille. »

C'était bien pour ça que Frost l'avait intégrée au Cercle, non ? Pour son réseau, son influence. Jackson ne verrait pas d'un mauvais œil que sa subordonnée se soit réservée Starling ; et pour ce faire, la Comtesse allait planter profondément ses griffes dans toute la portion autrefois inatteignable de cette zone. Son Vertigo empoisonnerait davantage de corps, asservirait davantage d'esprits, et lui assurerait des revenus grossis d'un bon quart. Defalco serait bien trop occupé à fuir les super-héros pour s'inquiéter de voir son domaine lui être volé.

Il suffit à la Comtesse de voir les maxillaires de Yannis se contracter pour comprendre qu'il n'approuvait pas son initiative. D'ordinaire, Xuanyun aimait admirer le profil racé de l'africain, voir sa peau d'ébène se tendre, et mettre en exergue sa mâchoire ; ce soir, cependant, la coquette avait un autre objet d'attention, bien plus à son goût, et dont elle ne connaissait pas encore par-cœur les attendrissantes mimiques. La bouche de Charlotte, mise en valeur sans prétention, se trouvait là, à portée de baiser, comme une paire de femmes nues allongées lascivement sur le sable, à attendre que l'on s'occupe d'elle. Si Xuanyun profitait de l'état de la rousse pour satisfaire ses envies, serait-ce considéré comme un rapport non-consenti ? La trafiquante avait la quasi-certitude que la demoiselle en vert ne se rappellerait de rien avec précision... Mais risquer une accusation de viol uniquement pour se faire plaisir, cela semblait plutôt rabaissant. Que penserait-on d'elle, parmi le Cercle, si l'histoire remontait jusqu'à eux ?

« Et si Defalco a ne serait-ce qu'une occasion de vous le faire payer, vous finirez écrasée par votre propre poids... J'ai déjà vu les victimes de ce mutant. Le spectacle est à vomir. » Déclara posément, avec un calme qu'il était loin de ressentir, l'informateur, tout en modifiant sa posture pour se mettre vers l'avant.

Soudainement, la Comtesse en eut assez de ces atermoiements. Les courts cheveux noirs du ghanéen reflétaient encore le défilé multicolore des stroboscopes, mais son visage fermé et sérieux jurait avec l'ambiance festive. L'homme gâchait la fête, et menaçait de communiquer sa grise mine à Xuanyun. L'alcool aidant, la propriétaire du duplex conclut, d'un ton grincheux qui n'admettait pas de réplique :

« Yannis, mon chou, tu es d'un pessimisme... » Comparé à la bienheureuse, souriante et jolie Charlotte, l'africain ressemblait à une triste peinture sans couleurs ni éclats, juste bon à lui réduire le moral à zéro. « Contente-toi d'obéir... Je te règlerai plus tard. » Lui assura la criminelle hédoniste, en le chassant d'un gentil geste de la main.

Congédié comme un laquais, celui-ci ne masqua pas sa colère devant le mépris qu'on affichait à ses suggestions, et disparut sans feindre la moindre politesse. Xuanyun s'autorisa un discret soupir d'aise. L'oiseau de mauvaise augure venait de s'en aller, et elle se permit de changer d'appui pour soulager ses talons. Son invitée se tenait tranquille, sagement affalée dans son siège, bercée par la musique pulsatile mais non agressive. Si son hôtesse la prenait doucement par la main pour l'emmener vers une chambre, à l'étage, elle se laisserait sans l'ombre d'un doute guider.. Et faire. Au réveil, la chinoise n'aurait qu'à lui dire qu'on l'avait couchée quand elle avait commencé à somnoler dans son coin (après l'avoir rhabillée un minimum).

Déchirée entre envie et responsabilités, la toxicomane pencha pour un compromis (qui, elle le pressentait, ne durerait pas longtemps). Ils étaient rares, ces moments de quiétude où Xuanyun n'avait pas à réfléchir ou à craindre pour sa sécurité, et elle ne prévoyait pas de gâcher celui-ci en se refusant la compagnie d'une belle inconnue ("Charlotte" ne devait pas être son vrai nom, vu l'hésitation qui avait précédée la réponse). Elle n'irait pas jusqu'au rapport, néanmoins, se contentant de se lover contre son invitée en apesanteur, pour échanger avec elle la chaleur de son corps, et profiter de celle qui lui parviendrait au travers du tissus vert. Rien de vraiment dérangeant ou invasif... Une simple proximité presque intimiste, qui invitait à la confiance et à la volupté.

Doucement, pour ne pas tirer la droguée de son cocon de relaxation, Xuanyun s'installa à demie sur l'accoudoir du fauteuil, profitant de sa robe fendue pour laisser pendre une jambe, alors que l'autre venait se caler auprès de la rousse. Elle profitait d'un petit tiers du dossier pour s'appuyer le dos et la nuque, laissant la majorité de son torse trop haut pour être en butée. Cependant, le rembourrage de l’accoudoir suffisait à former une assise moelleuse, et elle se trouvait épaule contre épaule avec sa voisine. D'une main prétendûment innocente, la Comtesse fit ensuite graduellement glisser la tête de Charlotte, pour qu'elle repose finalement contre son giron, là où l'étoffe argentait miroitait timidement. En se concentrant, la chinoise pouvait presque sentir le souffle de l'ingénue filer par-dessus sa robe vers son décolleté. De l'index gauche, elle délimita le lobe d'une des oreilles de la rousse, qu'elle couvait d'un regard captatif, sorte d'avertissement discret destiné aux autres invités.

« J'aimerais que cette soirée ne se termine jamais... » Soupira la criminelle d'un ton si bas que seule une femme put l'entendre.

Pas d'intrigues à démêler, pas de pièges à déjouer ou de complots à échafauder... Seulement la tiédeur enivrante du confort familier, et le fourmillement bienvenu de la tentation. Xuanyun laissa le parfum qui émanait de Charlotte lui monter aux narines, imprégner son être de ces senteurs nouvelles et connues qui se mélangeaient pour former un ensemble unique, et résista à son soudain désir de s'adonner à quelques caresses.

Si Charlotte ne l'avait pas devancée, c'est celle contre laquelle elle était alanguie qui lui aurait dérobée un premier vrai baiser.

Xuanyun perçut la caresse lui filer le long du quadriceps, et frissonna en s'imaginant un instant que la main ne s'en tiendrait pas à la frontière tracée par le bas de sa robe. Conjointement, son invitée sous Vertigo l'embrassa. Pas le timide essai d'une hétérosexuelle qui s'enhardissait à venir goûter au mystère féminin : les iris de la rousse se firent deux braises émeraudes tandis qu'elle passait franchement à l'acte, s'abattant sur la Comtesse comme un torrent trop longtemps contenu. Sa partenaire aurait pu croire que le baiser venait d'elle, tant Charlotte égalait en passion la violence de ses propres désirs. Elle ne se fit pas prier, quand ce scénario auparavant purement fictif prit soudainement vie, et bascula pour être au-dessus de la jeune femme, afin de ne pas partager qu'une épaule avec elle, mais tout l'avant du corps. Mains en appuis sur le dossier, la chinoise parée d'argent positionna ses genoux entre les jambes de cette prédatrice qui venait de la cueillir par un baiser. Leurs lèvres rivalisèrent d'imagination pour se découvrir les unes les autres sans se séparer, là où leurs langues s'unissaient telles deux corps s'ébattant, pour valser et s'étreindre dans l'intimité de leurs bouches.

Xuanyun oublia tout. Charlotte devint son monde, l'unique chose à laquelle elle s'intéressait. Intoxiquée par l'odeur qu'elle dégageait, la trafiquante ne pouvait respirer sans inhaler cette senteur, légère mais entêtante, qui l'incitait à embrasser, à caresser, à s'unir avec son centre de l'univers. Un gémissement de plaisir lui fit vibrer la gorge, irrépressible, si naturel. Elle aurait voulu pouvoir promener ses mains sur le visage, le torse, les fesses de cette inconnue, afin de combler la soif qu'avait sa peau d'obtenir plus de sa partenaire. En transférant son poids sur un appui, elle put avec soulagement se libérer la main droite, dont les doigts s'empressèrent d'épouser la silhouette de la rousse, depuis sa tempe gauche qu'elle effleura brièvement, pour descendre vers le plus stimulant. Quand, enfin, la sulfureuse invitée autorisa la Comtesse à reprendre son souffle, celle-ci ne put contenir une exclamation essoufflée.

« Wahou ! » Murmura-t-elle en guise de compliment, incapable d'articuler plus sur le coup. Après quelques bouffée d'air chargées des fragrances de la droguée, Xuanyun reprit, charmeuse : « Dégoutée des hommes, hein ? » Répéta la propriétaire du duplex, sa main droite bien installée sur la hanche gauche de son interlocutrice.

La criminelle se sentait brûlante, fiévreuse. Chaque cellule de son organisme lui hurlait de prendre Charlotte, ici et maintenant, de lui ôter sa robe verte aussi vite qu'il lui serait possible en l'embrassant, pendant que les mains de cette dernière la débarrasserait pareillement de sa tenue. Elle voulait poser ses lèvres entre les seins de la rousse, l'amener au septième ciel jusqu'à l'épuisement. Une pulsion venue beaucoup trop vite, mais son cerveau ne pouvait s'en rendre compte sur le moment. Son cœur battait au rythme saccadé où ses poumons aspiraient de l'oxygène, mais elle ne put attendre d'avoir totalement recouvré son souffle que, déjà, ses lèvres retrouvaient celles de sa nouvelle idylle.

« Hey ! »

La musique s'interrompit brutalement, mais la Comtesse s'en fichait royalement. Elle interrompit son baiser pour commencer à enfouir sa bouche dans le cou exposé de Charlotte, sa main tâtonnant pour s'infiltrer sous le bas de sa robe.

« HEY ! »

La même voix, qui criait plus fort. Une voix d'homme. Le DJ.

« QUOI ? » Rétorqua finalement celle à qui il s'adressait.

Installée au-dessus de sa toute nouvelle cliente privilégiée, Xuanyun n'avait fait pivoter que le haut de son corps vers l'intermittent, signe évident que sa concentration restée focalisée sur ce qui se passait entre ses cuisses.

« On dirait qu'elle va faire un soleil... » Expliqua le prestataire, avec une virulence douchée par le ton glacial de son employeur.

Son index pointait vers le salon, là où l'étudiante blonde avait été allongée à terre par un autre invité, qui l'installait maladroitement en position latérale de sécurité. Il fallut deux interminables secondes à la Comtesse pour se souvenir, ses fins sourcils froncés, qu'un Soleil de Minuit désignait une overdose. Cet imbécile semblait croire que, si une cliente mourrait des suites de sa prise d'ecstasy, la dealeuse aurait des soucis à se faire. Rassurée de voir qu'il ne s'agissait que d'une histoire de bad trip, l'asiatique brune tança le bien-pensant.

« Et tu me déranges pour ça ? J'ai l'air d'être urgentiste ? »

L'air stupéfié du DJ apprit à la maîtresse des lieux que le message venait d'être passé. Reprenant immédiatement après son flirt, elle se noya dans le vert incomparable des yeux de Charlotte, l'attirant gentiment à elle tout en déclarant, d'un timbre vibrant d'onctueuses promesses :

« Où en étions-nous, déjà ? Ah, oui... »

D'ordinaire, le Vertigo amollissait plus qu'il n'excitait ses utilisateurs – la Comtesse n'aurait eu que faire d'une drogue rendant libidineux (quoi que...). Or, pourtant, difficile de croire que sans la pilule verte, Charlotte se serait aussi ouvertement livrée à son hôte. Une demie-heure plus tôt (qui ressemblait à une éternité, pour Xuanyun), la demoiselle lui confessait ne s'être jamais vraiment éclatée, et à présent, elle la flattait de compliments, l'honorait de ses baisers, et l'assiégeait de caresses. L'asiatique crut retomber dans les bras d'une ancienne amante, laquelle n'aurait pas couché depuis des semaines ; sans répit, la rousse rendit au centuple chaque geste à la fois tendre et fort, à en étourdir presque celle qui la surmontait telle un dôme. Le DJ avait relancé la musique, mais à un volume moindre. Cherchait-il à créer une ambiance tamisée pour son employeur, ou à laisser parvenir aux oreilles de la brune les conversations anxieuses qui filtraient du salon ? La question n'intéressait déjà plus la trafiquante chinoise, toute à son brasier intérieur. S'interrompre pour amener sa partenaire dans un endroit plus tranquille lui apparut impensable ; la séparation de leurs deux corps, insurmontable. Elle la mènerait jusqu'au Nirvana sur ce fauteuil, et autant de fois que nécessaire. Tant pis si elles ne dormaient pas, cette nuit ; la Comtesse prévoyait de se dispenser des cours du lendemain depuis le début de la semaine. Et ces mains, qui s'occupaient de ses fesses...

L'ombre de la culpabilité voila les traits de la verdoyante célibataire. Son expression trahit soudain une grande détresse morale, fidèle réplique d'une femme qui se sentait, impuissante, happée vers les abysses, et trouvait la force de tendre une main désespérée pour qu'on la tire de sa situation. Cette confirmation se passait d'explications : Charlotte, dans son état normal, ne se serait jamais permise d'embrasser une inconnue, si belle fut-elle. Tirer avantage de sa vulnérabilité émotionnelle revenait donc bien à abuser de la jeune femme, ce dont la criminelle se gardait.
Mais il était trop tard. Xuanyun désirait plus que tout s'abandonner à ses fantasmes, sentir un feu d'artifice éblouir ses pensées, et ses muscles se tendre, puis se relâcher, à force d'être cajolée par cette rousse si désirable et envoûtante. N'en étant pas à son coup d'essai, la Comtesse identifia la résolution vacillante de celle qui prétendait ne pas vouloir aller plus loin. Ses lèvres marmonnaient « non », lorsque ses mains criaient « oui » ; même sans Vertigo, les pupilles de la timide résidente d'Unicity auraient été toutes dilatées d'excitation contenue. Implacable, la maîtresse des lieux étouffa cette petite flammèche de résistance, sans délaisser pour autant son rôle de séductrice.

« Oooh oui, ce n'est pas bien... » Confirma l'asiatique avec un regard gourmand, avant d'embrasser Charlotte.

« Pas bien, pas bien du tout... » Continua-t-elle sur un ton sévère. Elle hochant lentement la tête de gauche à droite, mais en déposant un nouveau baiser sur les lèvres qui l'attendaient, un peu plus bas, en lui caressant le visage.

Cette fois-ci, elle ne se redressa pas pour poursuivre sa comédie de fausse réprimande. Toute contre le corps agréable de son invitée, la courtisane décala sa bouche vers l'oreille, alors que sa main caressante, elle, reprenait le chemin familier vers le bas de son corps. Le souffle de la chinoise devait passer sur la peau du pavillon, lorsqu'elle fit entendre le doux bruit humide de sa bouche s'entrouvrant lascivement pour porter l'estocade de son assaut verbal.

« C'est pour ça que c'est si bon... » Confia la connaisseuse, avec une voix de gorge rendue rauque par la proximité.

Pendant ce temps, une compagnie de fins doigts entreprit d'aller à la rencontre de la seconde paire des lèvres de Charlotte, pénétrant sous sa robe, ne soulevant pas plus que nécessaire l'élastique de ses dessous. Xuanyun estimait la bataille remportée, mais ajouta néanmoins, avec suavité, avant de venir titiller l'intérieur de sa partenaire :

« Dis-toi que c'est juste un rêve... Un très, très joli rêve... »

Ensuite, la Comtesse considéra que ses lèvres avaient assez parlé. On continuait à piailler et à jacasser, dans son dos, ce qui faillit la pousser à ordonner à l'assistance de se taire. Ne voyait-on pas qu'elle s'apprêtait à coucher avec la plus belle femme de l'univers ? Et ce DJ, qui s'obstinait à ne pas monter le son de sa musique assez fort...

« Comment refuser, lorsque c'est demandé avec tant d'empressement ? » Sourit la Comtesse, ravie de constater la force de son impact chez sa partenaire.

Désorientée par l'allégresse et le désir, elle avait perçu les gémissements et les halètements de Charlotte tels une musique enchanteresse, un préliminaire vocal qui lui mettait le sang en ébullition. Obnubilée par la rousse, qui participait de plus en plus activement à leurs échanges mutins, Xuanyun réalisa soudainement qu'elle avait perdu ses talons à force de se balloter contre l'accueillante surface verte. Sa main gauche flatta la chute de reins de son invitée, par mimétisme, la droite ressortant à regret hors de son petit coin de paradis. Il se posa soudain le problème du déplacement... Sous Vertigo, et avec de l'alcool dans le sens, Charlotte risquait d'avoir d'énormes problèmes à se déplacer. Son hôte, qui pensait être encore en état de la soutenir, perçut finalement ce que sa vodka avalée d'une traite lui faisait subir depuis quelques minutes, et dut s'y reprendre à trois fois pour redresser le torse. Convoyer sa compagne du soir jusqu'à sa chambre sans rouler par terre allait relever de l'exploit ; loin de s'en inquiéter, la chinoise remit de l'ordre dans sa coiffure, s'essayant à l'exercice périlleux de la réflexion en état de complète ébriété. Une main ferme la saisit à l'épaule.

« Non mais vous foutez quoi, là ? » Se scandalisa un timbre familier, en l'obligeant à pivoter.

Méconnaissable dans la semi-obscurité, un jeune homme noir foudroyait la propriétaire du duplex des yeux. Il semblait hors de lui. Tournée vers le salon, l'asiatique découvrit que le DJ avait abandonné son poste (ce qui expliquait l'absence de musique), et qu'à part les plus atteints, tous les invités s'étaient massés dans une zone de la propriété, l'air hagards ou paniqués. Fière d'elle, Xuanyun mit enfin un nom sur le visage.

« Ooooh, Yannis ! Quoi, tu la voulais ? Trop tard, elle est allée voir ailleurs... » Articula pâteusement l'étudiante, ses lèvres étirées de façon moqueuses, et le regard trouble. Ainsi, Charlotte avait tapé dans l'œil du ghanéen, et il lui en voulait de lui avoir coupé l'herbe sous le pied ?

« Vous filez de la drogue à une putain de mineure, et vous la laissez boire, tout ça pour qu'elle manque de s'étouffer dans son propre vomi sans que personne ne réagisse. » Siffla l'oiseau de mauvaise augure en parlant plus vite qu'une mitraillette. Dépassée par le flot de paroles, la Comtesse grimaça, paupières plissées, ce qui ne découragea pas l'africain.

« Elle serait morte, si je ne l'avais pas retournée. Morte ! Vous ne croyez pas qu'il serait préférable d'éviter ce genre de publicité ? N'êtes-vous pas supposée rester dans l'anonymat ? Il aurait été ravi, tiens, votre boss, de devoir maquiller une overdose en accident pour qu'on ne le relie pas à vos activités ! » Vitupéra l'informateur, implacable, en tendant une main large en direction de la jeune femme blonde, tirée d'affaire.

Le cerveau embourbé de son interlocutrice peinait encore à comprendre comment le bon samaritain, partit trop tôt pour assister à l'overdose, avait pu savoir ce qui arrivait. Le DJ l'avait-il prévenu ? Un invité était-il allé le chercher ?

« Et alors ? Tu veux une médaille ? » Bougonna la trafiquante, qui ne supportait pas de se faire chapitrer sous les yeux de Charlotte. D'une ruade de l'épaule, elle chassa la main de l'indic'.

« Elle vivra, non ? Pourquoi tu viens m'emmerder ? Va plutôt te la faire ! Elle doit t'être sacrément reconnaissance, si tu vois ce que je veux dire... » Glissa-t-elle d'un air lubrique, en revenant sur sa rousse, puisque l'affaire semblait entendue.

Un silence choqué tomba entre Yannis et la Comtesse, jusqu'à ce que celui-ci ne lâche, en égrenant chaque mot au-travers de ses dents :

« Espèce de pauvre conne... Vous ne devez votre position actuelle qu'à vos foutus parents. Le jour où ils mourront, vous ne mettrez pas plus d'une journée à devenir SDF ! On verra alors, si vous continuerez à traiter le reste du monde comme de la merde ! »

Xuanyun ne pouvait se le permettre. Un sous-fifre quelconque venait de lui manquer de respect et de l'insulter, devant témoins. Elle ne pouvait laisser passer l'affront (d'autant qu'elle suspectait Yannis de vendre des informations à Jackson). Une flamme furieuse embrasa son regard naturellement noir, et elle bondit, tigresse argentée, toutes griffes dehors, pour punir l'outrecuidant.

« Āng zāng de xiǎo shǐ yàng ! (Espèce de sale petite merde !) » Feula la chinoise, dont les mots, nés de l'impulsion, sortirent dans son Mandarin maternel.

Sobre, la guerrière n'aurait fait qu'une bouchée de cet opposant. Malheureusement, la Comtesse était tout, sauf en état de combattre. En se précipitant, elle perdit lourdement l'équilibre, et ne dut qu'à la chance de ne pas se sectionner la langue lorsqu'elle se cogna le menton contre un meuble. Anesthésiée, la pitoyable dealeuse ne sentit rien, mais dut subir le regard méprisant de Yannis qui la considérait, elle, étalée au sol de tout son long, avec les pieds encore à demi appuyés sur le fauteuil de Charlotte. Lèvres closes, l'informateur hocha lentement la tête, puis quitta le duplex, tandis que la propriétaire des lieux se relevait péniblement, humiliée.

Misérable, blessée dans son amour-propre, Xuanyun accueillit avec reconnaissance l'aide de Charlotte, ainsi que son intervention. Tant pis si cette soirée terminait plus tôt que prévu : après sa débâcle face à Yannis, la Comtesse n'aspirait plus qu'à s'isoler. Une sensation de fraîcheur lui apprit que sa robe avait déchirée, transformant la fente glamour en ouverture digne d'une tenue de strip-teaseuse, qui remontait au-dessus de sa hanche, et dévoilait par intermittence ses dessous d'un noir léger. Avant même que son cerveau ait pu digérer la terrible nouvelle, son invitée rousse prenait la situation en main, en proposant de finir ce qu'elles avaient si bien entamé à l'étage, dans la quiétude intime d'une chambre.

La suite se déroula dans le spectre flou et lacunaire de l'ébriété : par à-coups, Xuanyun constatait qu'elle se dirigeait vers son lit, une main réconfortante contre sa paume. Impossible de se souvenir précisément du trajet, ou de ce qui fut dit dans l'intervalle. Un battement cardiaque plus tard, les lèvres douces comblaient son manque d'affection, lui réchauffant le cœur et l'âme d'un baume fait de tendresse. Sur des rails, les muscles de la chinoise entamèrent un ballet bien connu, facilité par les interventions régulières et précises de la demoiselle dont la robe verte ne tarderait plus à finir au sol. Dans un timing frôlant la perfection, la Comtesse retrouva le contrôle de ses sens juste à temps pour profiter pleinement du traitement que lui offrait Charlotte. L'engourdissement dû à l'alcool s'envola, remplacé par une félicité hormonale qui démultipliait la moindre caresse sur la peau. Mais avec ce dégrisement, vint le retour de pensées moins... Frivoles. La jeune criminelle aspirait ardemment s'allonger au contact de cette belle rencontre, qui lui électrisait le corps si efficacement ; néanmoins, une alarme résonna dans l'esprit de la trafiquante. Saisie d'étonnement, la brune mit un terme précoce à ses baisers, pour reculer d'un pas et considérer celle qui lui faisait actuellement face.

« Attends un peu... Comment peux-tu tenir debout ? » Réfléchit-elle à voix haute, non sans goûter le dernier baiser sur ses lèvres avec l'envie d'en obtenir plus.

La fatigue, le tourbillon des émotions, ainsi que des restes de psychotropes consommés plus tôt, amollissaient certes les neurones de l'héroïnomane, mais cette dernière n'ignorait pas quel impact aurait dû avoir son Vertigo, notamment sur une néophyte dont l'organisme ne s'était pas encore acclimaté à la drogue. Que Charlotte ait été en état de marmonner de vagues phrases et de l'embrasser passait encore, mais il apparaissait de plus en plus comme improbable qu'elle ait pu se lever toute seule, ou marcher. Elle fronça péniblement des sourcils, ce qui conféra à son visage une expression de concentration presque comique. Maladroitement, la Comtesse pointa un index accusateur sur sa partenaire.

« Je t'ai vue avaler le comprimé... Tu devrais être en train de planer dans un fauteuil... C'est pas normal... »

D'un autre côté, Yannis n'avait rien eu l'air de remarquer d'anormal concernant la rousse... Ou bien si ? Consternée, Xuanyun comprit qu'elle ne parviendrait pas à se remémorer précisément la teneur de ses échanges avec le ghanéen... En plus, il y avait eu les mots prononcés dans une langue qui pouvait être de l'Italien... Ou du Français (pour ce qu'elle en savait), dont l'asiatique n'avait pas pu saisir un traître mot. Sa tête la cognait, dès qu'elle s'efforçait de trop réfléchir, et pourtant, la dealeuse sentit confusément qu'elle touchait à un élément important. Prise d'une intuition qui lui glaça l'échine, elle posa une question stupide (qui ne pouvait recevoir qu'une seule réponse) en serrant les poings le long de son corps :

« T'es des stup' ? »

Naturellement, la réponse à sa dernière question fut négative. Quel agent de la lutte anti-drogue se serait présenté gentiment, en pleine opération ? L'asiatique qui se trouvait pieds nus comprit avec un retard effarant qu'elle s'y était très mal prise pour cerner son interlocutrice, et son malaise n'en devint que plus intense. Si elle merdait ce soir, se faisait griller, ou dénoncée aux autorités, Jackson ne le lui pardonnerait pas, et elle terminerait son existence assassinée par un membre de la Ligue. La Gotham river noyait suffisamment des cadavres créés par le Cercle pour que Xuanyun sache qu'on ne retrouverait sa dépouille que trop tardivement, lorsque les poissons l'auraient grignotée à la rendre méconnaissable.

En réponse à son accusation, la rousse parut vider son sac, et celle à qui elle se livrait estima que seule la vérité sortait de ses lèvres (ce qui n'arrangea pas ses affaires). La Comtesse vécut une nouvelle humiliation personnelle en apprenant qu'une sale petite fouineuse de journaliste avait réussi à se faire inviter dans une de ses soirées privées sans qu'elle n'en sache rien. Là encore, si l'anecdote parvenait aux oreilles du Cercle, ç'en serait finie de la trafiquante, de sa réputation et de son commerce. Évidemment, Charlotte répéta ne pas avoir joué la comédie lorsqu'elle l'embrassait (ce qui n'apprit rien à la chinoise : elle se savait belle, irrésistible, et capable de faire la différence entre un baiser de façade et d'ardents préliminaires), et parut sentir qu'elle se trouvait en fâcheuse posture, puisqu'elle commença à négocier son sauf-conduit. Cette menteuse de première, ce vautour aux traits féminins, eut même l'audace de vouloir la faire chanter ! En échange d'une nuit avec la dealeuse, elle passerait sous silence ce qu'elle savait, ce qu'elle avait vu... Les traits de Xuanyun durcirent, se figèrent en une expression de froide animosité. Cette femme l'inquiétait, mais elle ne devait pas le lui faire sentir. La Comtesse s'était faite avoir par la plus vieille astuce journalistique du monde : Charlotte avait, par un tour de passe-passe quelconque, fait semblant d'avaler le comprimé de Vertigo, de façon à pouvoir espionner et tirer des confessions de la trafiquante en feignant d'être sous l'emprise de la drogue. C'était si simple à comprendre, maintenant ! Hélas pour elle, la comédienne avait mal jouée son rôle, et sous-estimé la vigilance de celle qu'elle prétendait flouer. Prise sur le fait, elle tentait vainement de s'en tirer par la persuasion.

« M'aider ? M'aider ? »

Masquant sa peur derrière une agressivité défensive, la chinoise se rapprocha de la reporter effrontée, en lui appuyant un index sur le sternum. Dans son regard, il n'y avait que révolte, dégoût, et dureté. Intimider Charlotte, voilà ce que la criminelle devait absolument réussir à faire, pour que toute l'histoire ne s'ébruite pas.

« Je crois plutôt que tu vas sortir d'ici tout de suite, et passer le reste de ta minable existence à rédiger des mots croisés, parce que si je vois UN MOT dans les journaux à propos de moi, du Vertigo, ou de cette mineure... Je te tue. » Promit l'asiatique, à bout de souffle d'avoir débité toute sa tirade en une fois.

Résistant à l'envie de gifler cette joue qu'auparavant, elle caressait, Xuanyun se mit dans son rôle de Comtesse pour trouver la force de demeurer implacable et détachée, dans son discours. Même avec une robe déchirée sur le dos, les paupières lourdes, et le corps engourdi, elle irradiait d'autorité, sa musculature sèche saillant tandis qu'elle complétait :

« Ne te représente plus chez moi, ne m'adresse plus jamais la parole, ne fais pas même mine de me connaître dans la rue ! Tu m'as crue assez stupide pour gober tes mensonges ? » Enragea l'instable étudiante, dont la main droite enserra fermement le menton de son interlocutrice dans un étau cruel, pour l'obliger à la regarder dans les yeux.

La journaliste ne reçut même pas la consigne de ne rien dire aux autorités. Elle aurait l'intelligence de s'en abstenir ; sinon, sa stupidité serait récompensée par une gorge tranchée... À condition que le Cercle puisse la retrouver. Si Charlotte était un faux nom, et que la journaliste portait des lentilles ainsi qu'une perruque, Xuanyun n'aurait quasiment rien de concret à fournir à Niamh pour que la hackeuse retrouve cette fouineuse. D'où la nécessité de lui faire suffisamment peur pour qu'elle n'envisage même pas de vendre la mèche.

« Dégage. Immédiatement. » Cracha la Comtesse, avant de se détourner, comme si elle ne doutait pas une seconde d'être obéie.

À l'instar d'un brasier purificateur, l'adrénaline née d'un mélange de frustration, de colère et de peur détoxifia l'organisme de Xuanyun. L'impression était illusoire, mais permit à la chinoise de considérer la situation d'un œil aussi alerte et critique que si elle se trouvait en milieu de journée. Et ce qu'elle voyait l'affligeait.

Cette gourdasse de journaliste, non contente de lui infliger son agaçante présence, s'était mise à genoux pour sangloter dans son coin, en la suppliant de lui pardonner, comme une collégienne dépressive un jour de rupture. Incrédule, la Comtesse dut vérifier de ses propres yeux que, oui, la sculpturale rousse dont elle s'était éprise plus tôt pleurait et quémandait un pardon qu'elle n'obtiendrait pas, comme si son univers venait de s'écrouler. Quelques heures plus tôt, cette jeune femme - certainement majeure – ignorait jusqu'à son existence, et voici qu'à présent, elle paraissait déchirée de devoir quitter Xuanyun. Incompréhensible.

« Pitoyable petite chose... Pas étonnant que ton copain ait rompu avec toi : tu me sembles avoir la maturité émotionnelle d'une fille de treize ans. » Décocha la vénéneuse maîtresse des lieux, en taclant volontairement les sujets les plus sensibles chez Charlotte.

Comment avait-elle pu, elle, la Comtesse Vertigo, s’amouracher d'une pareille cruche ? À la voir avilie par les larmes, son expression plissée de chagrin, elle ne semblait plus si désirable, ni envoûtante. Fallait-il seulement imputer à l'alcool ses attraits passés ? Ou bien le jeu de la tentation auquel s'était prêtée la dealeuse avait-il contribué à rendre plus excitant et émoustillant un flirt qui, sinon, serait rapidement devenu ennuyeux et plat ? Qu'était-il advenu de l'autre rousse, celle aux baisers de feu, au parfum de rose entêtant, et qui derrière la timidité de ses avances, masquait une férocité appréciable dans ses initiatives ? Il faudrait l'oublier, sans doute... Elle était morte, avec l'attirance qu'éprouvait l'asiatique brune pour cette détestable fouilleuse affamée de ragots.

« Je constate que tu ne m'as pas assez bien écoutée... Mais peut-être as-tu également l'intelligence d'une gamine de treize ans... » La rabroua la dealeuse, en revenant face à elle pour la surplomber de toute sa hauteur. « Tu as raison d'avoir peur, mais ce n'est pas en me suppliant que tu changeras quoi que ce soit. Je vais donc gaspiller ma salive, une ultime fois, et utiliser des mots simples : fous le camp. Et ne me reparles plus jamais. Ne parle de ce que tu as vu à personne, parce que si j'ai la moindre raison de te tuer, je le ferai. »

Xuanyun ne se détourna pas. Elle maintint son regard braqué sur l'intruse, afin de lui faire explicitement ressentir que sa présence l'insupportait. Parallèlement, la Comtesse se prépara à se mettre au lit, et ses gestes routiniers montrèrent qu'elle considérait déjà Charlotte comme partie. Si son regard noir comme le jais exhortait la demoiselle en robe verte au départ, ses actions, elles, laissaient entendre qu'elle continuerait sa vie comme si de rien n'était. La robe argenté glissa au sol doucement, bonne à être jetée. La criminelle prit un malin plaisir à se présenter en sous-vêtements juste sous le nez d'une femme qui savait qu'elle ne pourrait plus jamais l'embrasser ou la toucher, et mit un temps infini à ôter ses bijoux, pour les ranger sur une commode.

« Que... » S'écria brièvement Xuanyun, juste avant que Charlotte ne lui souffle un nuage de particules colorées au visage.

La rousse aurait mérité d'être trainée de force hors du duplex, pour la témérité avec laquelle elle campait dans la chambre d'une femme qui ne voulait plus du tout d'elle. La Comtesse armait un coup de genou destiné au diaphragme de la petite furie, quand une odeur piquante lui monta au nez. Prise à la gorge par une senteur âcre mélangeant les arômes de la demoiselle et de l'humus automnal, la dealeuse chinoise toussa à quatre reprises. Le fait qu'on la tacle comme si elle était une porteuse de ballon en plein match de football n'arrangea rien à sa condition, et elle ne put rouvrir les paupières qu'une fois allongée dos à son parquet, surplombée par ce qu'elle pensait être son insupportable soupirante.

Mais ce n'était pas Charlotte, qui lui retourna son regard. D'ailleurs, ça possédait trop d'yeux pour déterminer où allait son regard.

Xuanyun écarquilla les paupières en grand, et sentit sa bouche s'ouvrir sans que le moindre son n'en sorte. Paralysée de terreur, elle ne tenta pas de se débattre, et de toute façon, huit abominables pattes arachnides la chevillaient à terre.
Un mélange insupportable d'araignée, de pieuvre, de poisson et de crapaud fit cligner trois de ses douze yeux à quelques centimètres de son nez, en produisant un horrible bruit humide. La... Chose, l'aberration, respirait lourdement, par des trouées qui marquaient son torse rosâtre, et suintaient un épais mucus jaunâtre menaçant de couler sur la trafiquante asiatique. Au bas mot, l'apparition devait pesait le poids d'un rhinocéros adulte, dont il égalait la longueur et l'allure pesante. Ses iris orangées n'avaient pas de pupilles, juste du noir à la place de la sclérotique, et ses cils s'actionnaient horizontalement, non verticalement. De temps à autre, les trois gueules triangulaires de la bête s'entrouvraient, dévoilant de gros crocs noirs, fait pour déchiqueter et arracher. Des restes indistincts de précédents repas jonchaient encore les espaces entre les dents, et expliquaient les relents putrides qui lui montaient au nez. Xuanyun eut la nausée, et des larmes lui brouillèrent la vue. Elle ne pouvait ôter de sa mémoire les croûtes marrons, brunes et verdâtres, qui décoraient l'épiderme grêle de la chimère là où ses mues n'avaient pas été complètes ; ou le bruit sourd produit par ses bajoues gonflées, lorsqu'il semblait croasser par sa gueule circulaire. Ses foramens respiratoires travaillaient également à l'olfaction, puisqu'ils se contractaient parfois en reniflant comme un éléphant le ferait, dès qu'ils pouvaient capter l'odeur de la prisonnière.
La folie pure guettait la criminelle, dont le cerveau ne pouvait admettre ce qu'il observait comme étant la réalité. Charlotte était-elle une métamorphe ? Un extra-terrestre, venu se nourrir sur Terre ? D'épouvantables ailes membraneuses de chauve-souris se tendirent au-dessus de la Comtesse, veinées d'entrelacs verts et jaunes sur une toile grisâtre qui grouillait de parasites ressemblant à des sangsues. Elle crut apercevoir l’extrémité d'une queue pourvue d'un dard d'où gouttait un épais venin rouge sang, puis s'en fut trop pour son esprit.

« Oooooh... » Gémit faiblement la chinoise en perdant connaissance, ses yeux se révulsant jusqu'à ne plus être que blancs.

Molle et passive, la redoutable membre du Cercle des ombres devint soudainement aussi vulnérable et flasque qu'un poisson dépourvu d’arêtes.