[ PV Angel Sheehan ] Voici mon sang, voici mon corps

Angel, ou plutôt Jesus, camouflé sous un masque étouffant et le corps vêtu de noir, était donc en train d’hacher des fleurs de cannabis sur une table basse sur un rythme endiablé de dubstep. Ils étaient environ une dizaine dans l’immense suite privatisé, appartenant à El Coco, comme tout le monde le surnommait, un baron de la drogue assez connu dans le coin. El Coco, de son vrai nom Roger (carrément moins classe), était le dieu vivant de la weed et le roi de la teuf. Angel ne supportait pas l’odeur des joints et encore moins les toxicos qui les consommaient – mais généralement, les mutants qui détestaient leurs pouvoirs cherchaient à oublier, et quoi de mieux qu’un peu d’herbe pour oublier sa vie merdique ? Ainsi, en traînant avec El Coco, il pouvait faire sa pub, du genre : hey, c’est moi, Jesus ! Je peux délivrer ton corps de tous tes pêchés contre un peu de blé. Et puis, s’il ne trouvait pas de mutant dépressif et désespéré, il y aurait toujours quelqu’un pour vouloir pimenter un peu sa vie et lui acheter des pouvoirs. Dans tous les cas, il était gagnant.

La Golden Swan, aka l’hôtel de luxe par excellence, accueillait donc la garde rapprochée d’El Coco, quelques mecs qui visiblement ne prenaient pas que de l’herbe et deux ou trois jolies filles, pour le plus grand plaisir du baron. Angel, lui, était bien trop occupé à se retenir de vomir pour pouvoir profiter du spectacle. Bon dieu, quel genre de sacrifices était-il prêt à faire pour un peu de blé ?

« La teuf ne fait que commencer, je vous garantis. Les gens sont déchaînés dehors, ils attendent depuis des heures. » Déclara l’un des chiens de garde à El Coco qui tirait paresseusement sur un joint. En le regardant recracher des vapeurs de son air crétin, Angel remercia son Père pour lui avoir fait porter un masque – il avait failli revomir son dîner. « Trrrrès bien… Mais avant, je dois voirrrr quelqu’un… » Lui répondit le baron en roulant les r avec un accent à couper au couteau.

Le mutant tendit l’oreille. Par quelqu’un, entendait-il un client ? Et par client, entendait-il un mutant au fond du trou, prêt à tout pour se débarrasser de son pouvoir ? Levant les yeux, il put ainsi apercevoir El Coco se lever, enlever sa veste de costume dorée, dévoilant ainsi un teeshirt représentatif de tout le mauvais goût possible et imaginable, et marcher pour aller ouvrir les portes de la suite, accueillant ainsi… Trois personnes ?

« Bonsoirrrr Mike, bonsoirrr les amis de Mike. J’ai tout ce qu’il te faut pourrrr passer la soirrrée de tes rrrrêves. » Dit-il au gars du centre, un type visiblement dans un état déjà assez vaporeux. Angel toisa les deux autres types l’accompagnant : un pseudo-hipster et un blondinet visiblement pas très à l’aise. Saisissant l’occasion, il s’éloigna de sa besogne et ouvrit les bras, comme s’il était sur la croix.

« Que la parole de Christ habite parmi vous abondamment ; instruisez-vous et exhortez-vous les uns les autres en toute sagesse… » Tous les regards de la salle se tournèrent vers lui alors qu’il descendait les quelques marches qui séparait l’espace détente de la suite de la sorte de hall d’entrée. « Je suis Jesus, enchanté. Si vous avez besoin de vous confesser, je serais ravi de vous soulager de tous vos pêchés. » Et, derrière son masque, la face de squelette s’étira en un petit sourire.

Le blond, dont Angel devina la nervosité rien qu’au son de la voix, s’écria alors :

« Oliver, qu'est ce qu'on fout ici bordel ?? Je pensais passer une bonne soirée et tu me mets dans des sales coups avec ton psychopathe pour m'emmener chez un gros lard dealer de drogue et un jésuite sadomasochiste ?? J'en peux plus Oliver, je veux m'en aller. »

Jésuite sadomasochiste ? On l’avait jamais appelé ainsi – mais étrangement, ça sonnait plutôt bien. Il était loin d’être rancunier… Mais ce n’était pas le cas de El Coco qui écrasa son joint dans le creux de son gros poing, son visage se tordant en une grimace de colère qui fit frissonner Angel. Non, il n’aimait vraiment pas les ennuis… Rajustant sa couronne d’épines (le petit plus de son costume, il fallait l’admettre), il fit quelques pas en arrière, se doutant que la réaction d’El Coco serait aussi excessive que son gros bidon.

« Tu me trrrraites du grrrrros larrrrd ? » Demanda-t-il, se tournant vers celui qui l’avait ainsi insulté.

N’importe qui dans la suite pouvait sentir la tension qui émanait. Que faire ? Que dire ? Angel réfléchit à toute vitesse, cherchant un verset de la Bible à réciter, mais son cerveau ne put que lui projeter des citations nulles sur l’amour et la création du monde. Mieux valait se taire.
L’un des chiens de garde du dealer trouva alors une once de courage et s’approcha de son chef, tout tremblotant. Il faisait bien peine à voir – en attendant, c’était le seul à avoir bougé après les terribles mots du Coco.

« B-Bien sûr que non… Je suis sûr qu’il… Euh… Qu’il voulait dire autre chose… Il n’y a pas de… » Mais il ne finit jamais sa phrase. El Coco avait sorti un flingue, caché dans l’un des nombreux bourrelets que son teeshirt ne pouvait malheureusement pas dissimuler, et lui avait tiré une balle dans la tête. Son corps tomba au sol dans un drôle de bruit et une flaque de sang commença à se former autour de lui.

Le silence était de plomb, comme si tout le monde était pétrifié.

C’en était trop pour Angel. L’odeur de l’herbe, puis la vue du cadavre… Il ne put pas se retenir et il se détourna pour recracher ses tripes juste après avoir retiré maladroitement son masque, dévoilant ainsi le bas de son visage.

« La fête est finie. » Gronda El Coco qui ne semblait pas être dérangé par le léger malaise du dealer de pouvoirs. « Soit tu me prrrrésentes immédiatement tes excuses, soit je te descends avec tes petits amis. » Dit-il en désignant Mike, bien trop perché pour prendre la menace au sérieux, puis Oliver, qui lui pâlit excessivement.

Angel releva enfin la tête, essuyant sa bouche d’un air écœuré, et repositionna comme il pouvait son masque sur sa gueule de squelette. Tout autour de lui, les gardes d’El Coco se lançaient des regards inquiets, comme conscients de la merde dans laquelle ils se trouvaient tous actuellement. Lui-même ne pouvait pas déterminer si El Coco ne descendrait pas tout le monde dans sa colère, lui y compris… Et son pouvoir ne pouvait malheureusement pas le protéger des balles de pistolet. Il fit un pas sur le côté, s’éloignant encore un peu du baron de la drogue. Il n’avait pas d’armes sur lui, mais il aperçut une bouteille de bière sur la table base où il achevait sa besogne quelques minutes plus tôt. Si tout venait à dégénérer, il pouvait s’en saisir et essayer de…

« Jesus. Ne trrrrrouve-tu pas que nos invités sont bien ingrrrrrats ? Il faut chérrrirrrrr ce petit bijou qu’est ton pouvoirrrrr et admettrrrre que tu es notre Sauveurrrr, n’est-ce pas ? Qu’en pense ton Pèrrrre ? »

Et merde. Comment avait-il pu oublier que ce crétin de Coco était un sacré religieux ? C’était après tout pour cela qu’il l’avait choisi, lui, comme contact, car il savait que son rôle de Jesus lui plairait. Il garda le silence quelques instants – il devait sortir une connerie, n’importe quoi.

« Comme Pierre l’a un jour dit… « Ne rendez point mal pour mal, ou injure pour injure; bénissez, au contraire, car c'est à cela que vous avez été appelés, afin d'hériter la bénédiction. » Tuer est un pêché, El Coco. As-tu vraiment envie d’aller en Enfer après ta mort ? » Demanda-t-il, espérant ainsi faire appel à sa foi de croyant. Mais dans le regard du dealer, il ne vit que le sang, et cela le terrifia.